Entrevue Madame Figaro, Juillet 2005

Publié le par Emmanuelle

Marc Levy, propos recueuillis par Philippe Dufay / Madame Figaro

 

Rendez-vous à la terrasse d’un café de Saint-Germain. Mais pas le Flore ! Il accroche son vélo à un arbre du trottoir. Une bonne tête. Un beau sourire. Son éternelle barbe bien-mal rasée de trois jours. Il s’excuse. Il a près de trois quarts d’heure de retard. " Désolé, une déposition à la police pour un ami. Je suis citoyen. " Quinze jours plus tôt déjà, il avait eu une demi-heure de retard à un autre rendez-vous avec un journaliste de " Livres Hebdo " : " Désolé, un problème de plombier. "

Le voilà. Costume gris anthracite et tee-shirt noir, la tenue " Men in Black " des habitués de Denisot au " Grand Journal " de Canal +. Il dit n’en pas faire partie. Ni de ce village germanopratin qu’il habite pourtant depuis quelques mois avec son fils, avant de repartir bientôt vivre à Londres. " J’aime être un étranger. " Dedans, dehors : la ballade de Marc Levy. E. T. Un sauvage toujours ailleurs, en asymptote de tous les milieux. " Je fuis la notoriété. Je vis dans le seul quartier où je suis sûr que personne ne me connaît ! " plaisante-t-il.

Humour et légère aigreur à l’égard du milieu littéraire parisien, " la bande des Besson et des Beigbeder ", qui ne l’a guère épargné. Ce qui ne l’empêche pas de déjeuner presque chaque midi dans le même restaurant de la rue de la Chaise, une des cantines du monde de l’édition. Pas simple. Il rit. Les voitures s’arrachent bruyamment au feu vert, obligeant à répéter les questions. Il a la Marlboro light en mitrailleuse – " Surtout pas de photos ! " – et les décas en absorption normalement excessive.

Plus de quatre millions de livres vendus en cinq ans, un vrai phénomène ! " On me pose toujours cette question et je suis le dernier à pouvoir y répondre. J’ai bien essayé pendant quelque temps, mais n’étant pas du CNRS, j’y ai aujourd’hui renoncé. L’explication pour moi, tout simplement, est peut-être que les lecteurs aiment qu’on leur raconte des histoires. " Allons, Marc, un effort ! Combien d’obscurs auteurs des éditions Harlequin rêveraient aujourd’hui de garer leur vélo, de griller une " Malbo " et d’être tout bonnement à votre place.

Il semble profondément gentil. Léger. Heureux. Un passereau gâté sur une branche. Un fils à papa sans papa. Fils de lui-même. Self-made-man, comme dans sa chère Amérique. Timide, il l’avoue. Maladroit, ça n’est pas sûr, car très attentif gestionnaire de son image : l’époustouflant calendrier de ses prochaines séances de signatures et passages à la télévision en témoigne. " Je n’ai pas du tout d’ego, tranche-t-il, et je ne me sens pas écrivain, car l’appellation en France est plus un titre que la désignation d’une fonction. En 1998, j’ai inventé une histoire pour endormir mon fils Louis, alors âgé de neuf ans, et le convaincre que dans la vie il fallait toujours aller au bout de ses rêves. Après, j’ai continué à écrire pour justement ne pas me déjuger vis-à-vis de lui. C’est tout. "

Une belle ritournelle servie depuis cinq ans à tous ses interviewers. Flash-back. Magnéto Serge. Marc Levy loup y es-tu ? Il est né l’année de la construction du mur de Berlin. Son père vend des chemises sur les Champs-Élysées avant d’éditer des livres d’art et d’écrire (tiens, tiens) un best-seller politique. Sa petite sœur, Lorraine, deviendra scénariste pour la télévision. L’année de ses dix-huit ans, il rejoint la Croix-Rouge comme bénévole au service des urgences spécialisé dans la désincarcération des accidentés de la route. Puis se précise chez lui le goût du business : en deuxième année de gestion à Dauphine, il crée à vingt-deux ans sa première boîte, file aux États-Unis, fonde une société d’images de synthèse, revient en France et dirige une agence d’architectes. Un jour, sa vie bascule. Le 17 janvier 1998, ce qui n’était au départ qu’un avatar de " Bonne Nuit les petits " devient un " Da Vinci Code " avant Dan Brown. Merci Gros Nounours.

Deux millions d’exemplaires vendus, traduit dans trente pays et, le cadeau Bonux, l’achat des droits (2 millions de dollars) par Spielberg, avant même la sortie du livre. " Et si c’était vrai... " : en deux mots, l’histoire d’un architecte californien, Arthur, qui tombe amoureux d’une jeune femme fantôme, Lauren, trouvée un soir dans la penderie de sa salle de bains. Elle n’est pas vraiment morte ni entièrement vivante. Elle est dans le coma à l’hôpital pas très loin et se téléporte afin de se distraire. Le 13 juin dernier, les fans d’Arthur et de Lauren retrouvaient avec bonheur leurs héros dans " Vous revoir " *, la suite de " Et si c’était vrai... ", le cinquième livre de Marc Levy. Entre les fantaisies hantées de Didier Van Cauwelaert – mais sans l’électricité belgo-niçoise – et les " romantic comedies " des " Feux de l’amour ". Les lecteurs adorent. Les critiques crachent et les libraires applaudissent à cette manne inespérée.

" Ma vie, je l’avais fabriquée avant et il y a des choses en elle plus importantes que ce succès : mon fils, par exemple, qui va avoir quinze ans, ma famille, mes amis. Je serais beaucoup plus fier à ma mort si mes proches disaient de moi que j’étais un bon père, un bon ami, un bon amant – il fait mine de rougir – plutôt qu’un bon écrivain. "

Marc Levy, un potentat miraculeux des hit-parades littéraires. Le bénéficiaire intelligent d’un phénomène d’époque indiscutable et parfois maladroitement contesté. " Quand "les Trois Mousquetaires" sont sortis, la critique les a déchiquetés. On connaît la suite. Je vous défie de me donner le nom des critiques de l’époque. J’écris comme un œil de caméra. Claude Lelouch est pour moi un modèle. Chanter sous la douche, c’est déjà faire de la musique. Et tenir un journal, c’est déjà écrire. " " La candeur, c’est le trésor de Marc ", dit son amie, Sophie Fontanel.

* Éditions Robert Laffont.

source : Le Figaro / Madame

Publié dans Interviews

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